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New QHS

Il se déconnecta… Prestement, sans ménagement. Il ressentit l'élancement douloureux habituel lorsqu'il s'enfuyait du réseau. C'était la quatrième fois qu'il se faisait repérer dans ces banques de données. Trop dur… trop épuisant… Il était de nouveau lui dans le monde réel, se palpa pour s'en assurer. Il resta un moment sans bouger, haletant, le câble de connectique à la main. Il laissa ses yeux s'accoutumer à la pénombre et à la troisième dimension de la réalité. C'était le plus difficile dans le retour, la différence de profondeur de champ entre l'interface et le monde réel. Il faisait nuit ; depuis longtemps sans doute puisque le néon du CosmoBar éclairait sa chambre par intermittence. Il appela la montre digitale sur le moniteur : 3h15 ! Il était resté connecté dix heures d'affilées et n'avait pas ramené la moindre donnée. Il vérifia la ram de l'ordinateur. 0 Kb ! Rien, nada… totalement vide. Quelle perte de temps ! La société Zu-Wan, qui l'employait depuis deux ans, allait commencer à mettre en doute ses capacités de hacker… Putain de site… Comment pouvait-il pénétrer ? Six serrures électroniques à mots de passe aléatoires, trois portes contrôlées par des firewall, cinq tours de gardes et plusieurs fosses à virus … Il n'avait jamais vu un réseau aussi bien protégé !

Bernie Marshall l'avait contacté comme d'habitude, ne laissant dans sa boîte aux lettres électronique que les coordonnées de la banque de données à pirater. Lorsqu'il y parviendrait, les données seraient directement déviées vers la Zu-Wan par le programme spécial qu'ils avaient implanté dans son matériel. Une somme variable serait alors transférée sur son compte en banque, limitant ainsi les contacts avec ses patrons… S'il y parvenait un jour… Il s'endormit…Enfin.

" La nuit porte conseil ", il allait finir par le croire. C'est souvent après une longue nuit que de bonnes idées lui venaient. Il se fit chauffer un café et alla se vider la vessie, deuxième organe avec l'estomac qui lui rappelait qu'il avait un corps physique. Il but rapidement le liquide noir et chaud puis il se prépara à se connecter. Il chercha du bout des doigts la prise neurale derrière le pavillon de l'oreille et y enficha le cordon de connexion. Il programma l'interface, mais cette fois-ci, il n'entra pas les coordonnées indiquées par Marshall, mais celles de la Zu-Wan. " Connais ton ennemi ! " dit-il à haute voix. Pour pirater ces données, il avait besoin de savoir de quoi il s'agissait et ces renseignements étaient dans l'entreprise qui l'embauchait ! Dès qu'il enfonça la touche 'return' il se sentit dématérialisé. Il n'était plus rien. Un 1 et un 0… Mais bien moins con qu'un bit ! Il gardait toute sa pensée, toute son intelligence…et il avait son super micro ! Un nova modifié qui fonctionnait en 500 Gigahertz soit bien plus rapide que n'importe quelle bécane sur ce continent !

Il pénétra sans encombre dans Zu-wan, par l'accès autorisé. Il franchit les informations destinées au public et arriva vers les premiers centres contrôlés. Il opta pour le service comptable où il commença à s'infiltrer avec précaution. Aussitôt, un programme garde apparut. Il lui envoya un virus à grande vitesse. Le garde ne put rien faire ; le virus le dévora en un clin d'œil, annihilant ses facultés de transmission et de décision. Faire sauter le code de sécurité fut un jeu d'enfant et il infiltra le fichier des mots de passe. Il ne voulait pas utiliser le sien…surtout pour pirater son employeur ! Il passa devant le mot de passe de Bernie : " berMa " aucune imagination ! Il dupliqua celui d'une certaine Conny Sand, " Nikita ". Cela lui rappelait un vieux film de l'époque du 35mm, un film visuel qu'il fallait regarder avec les yeux… Bien avant les implants neuraux ! Grâce à Nikita, il passa sans problèmes bon nombre de contrôles. Il erra des heures dans le réseau de la société, découvrant tous les noms de ceux qui y travaillaient, leurs adresses, leurs vies entières, à peine codées…Il apprit que Conny Sand avait eu sa promotion grâce à son cul…Il sut que Bernie Marshall était drogué à mort…Il sut tout sur tous… Mais ce n'était pas ce qu'il cherchait. Ce qu'il voulait, c'était un répertoire bien spécial, une banque de données protégée sur les projets en cours. Il voulait savoir à qui et pourquoi Zu-Wan voulait s'attaquer… " Connais ton ennemi ! "

Mais cette info n'était nulle part. Il se mit alors à pomper toutes les données de la société, faisant rechercher par son micro l'adresse laissée par Bernie. Et il la trouva… S'il avait pu rire, il l'aurait fait. Le fichier qu'il cherchait était au beau milieu des données grand public, avec une protection mineure…Qui aurait l'idée d'aller chercher des renseignements si précieux dans une zone à peine contrôlée ? Certainement pas un hacker ! Ainsi donc, il sut ! La société à laquelle on lui avait demandé de s'attaquer n'en était pas une. C'était le ministère de la défense qu'il devait infiltrer, pas moins ! Zu-wan y cherchait le principe d'une nouvelle arme bactériologique mise au point par l'armée. Il était terrorisé. Il hésitait sur la marche à suivre…faisait le tour des options…Il en avait peu. Refuser le job, prévenir les autorités, se tirer… Il décida de quitter les lieux et ordonna au micro de reverser les données empruntées. Rien ne se produisit. Rien. Rien n'arrivait ! Comment était-ce possible ? Cela ne se pouvait pas ! Il ordonna la déconnexion mais…il était toujours sur le réseau ! Soudain, un message se mit à briller sur son interface. " Vous y êtes, fouineur, restez-y ! Amitiés, Bernie " Alors, il comprit ! Le programme relais ! Il voyait les hommes de Zu-wan recevoir par le programme relais des données pillées dans leur propre ordinateur. Il les imaginait défoncer sa porte et taper le message sur son micro. Il imaginait son corps sans défense, étendu sur son fauteuil de cuir, l'esprit ailleurs… Il avait été stupide. Les données transférées dans son micro, avaient été automatiquement redirigées vers Zu-wan. Il avait oublié le programme relais. Il paraît qu'à trop vouloir connaître la vérité, on se brûle les ailes…Lui, il s'était carrément écrasé ! Il hurla … Des années durant…sans un bruit…lâchant ses cris sous forme de 1 et de 0 qu'il inscrivait dans sa prison mentale, gardée à tout jamais.

Didier -1995

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