PARADIS

 

« Votre nom ? aboya l’homme en blanc.

- Alain Dormay.

- Pas celui-là, imbécile, vociféra-t-il.

- Je n’en ai pas d’autres…

- Donnez-moi au moins votre matricule, soupira le gars »

Instinctivement, Alain lui lâcha une série de numéros…D’où connaissait-il ce nombre ?

« Zar Boriv ! siffla l’employé après avoir consulté une machine ; c’est votre nom, asseyez vous là-bas ! »

L’ordre était sec et impératif, il obéit sans comprendre. Qu’est-ce qu’on lui racontait ? « Zarbo truc ! » Qui était-il ? D’où venait-il ? Il se prit la tête dans les mains. Voyons voir ; hier il avait dîné avec des amis. Un resto mexicain ! Il avait surtout pas mal bu. Ensuite, il était rentré chez lui avec le cabriolet, et puis…

Et puis, plus rien ! Ah si, l’hôpital… ça revenait doucement. Il releva la tête, horrifié de sa découverte. Il se souvenait… Le resto, la tequila…Il avait tenu à conduire, depuis toujours, il avait tenu l’alcool et bien malin celui qui aurait pu dire qu’il était plein…Le virage serré, le camion en sens inverse… L’accident…L’ambulance puis l’hôpital avec les infirmières, il se souvenait… Il était mort !

Il s’était senti aspiré, dématérialisé. Il avait flotté au-dessus de son corps et s’était vu étendu sur une couchette de plastique, alors que des gens se démenaient autour de lui… Et puis il y avait eu le long tunnel blanc, très lumineux. Une lumière douce et apaisante. Il avait ensuite entendu de drôles de bruits…Après… Après il était ici ! Oui, c’était cela, il était mort ! Mais que faisait-il ici ?? Son éducation judéo-chrétienne l’empêchait de considérer toute alternative. Cela ne pouvait être que le purgatoire, l’enfer, ou le paradis. Il se sentait désemparé.

«  ZAR ? » demanda une jeune femme.

Il fit signe que oui presque malgré lui.

« Suivez-moi ! » dit-elle. Il la suivit.

Elle était, ma foi, assez jolie, bien que le fait qu’elle n’ait ni cheveux, ni sourcils, le gênait énormément. Ils avancèrent dans un dédale de couloirs métalliques. Elle s’appelait Miâ. Elle était vêtue d’un ensemble bleu, très moulant, composé d’une tunique et d’un pantalon. Elle portait un badge sur le sein gauche avec une écriture qu’il ne put lire. Pourtant, c’était une écriture qu’il connaissait, il avait su la lire. Il la questionna, mais elle fut évasive sur presque tous les sujets.

« Cela viendra en son temps, dit-elle. Je suis votre accompagnatrice, disons, votre balise… Soyez patient ! Qui étiez-vous ? 

- Je suis…J’étais Alain Dormay, un grand acteur ! (L’utilisation du passé ne laissait plus de doute sur sa mort…)

- Pas mal, ça aurait pu être pire !

- Pire ??? Mourir à 32 ans ? Cria-t-il.

- Faut avoir les moyens ! »

Il ne comprit pas.

Alain-Zar fut emmené dans une salle grande comme un placard, meublée d’un lit qui flottait au plafond, d’une chaise-table au sol. Miâ lui montra comment faire permuter les objets. C’était sa cellule, elle le laissa là, seul.

Il s’assit…et pleura.

***

 

Il passa les heures suivantes à se demander ce qu’il avait fait pour échouer ici… Dans son esprit lui revenaient des notions lointaines qu’il avait occultées. Des choses apprises pendant son enfance mais qu’il s’était empressé d’oublier, une fois adulte. Des mots comme Jugement ou péché s’imposaient à lui. De vieilles notions de catéchisme… Il réfléchit à ce qu’il avait pu faire… Il avait abusé de drogues, et d’alcool…Mais qui sur Terre pouvait passer à travers. Il avait abusé des femmes aussi, mais elles étaient toutes consentantes. Bien sûr, il y avait eu la gamine, mais le diable lui-même lui aurait donné 18 ans !

Plus tard, Miâ apparut sur le seuil. Il n’avait pas dormi.

«  Cette journée a été éprouvante. Est-ce que ça revient ? demanda-t-elle.

- Qu’est-ce qui doit revenir ? lâcha-t-il  »

Elle ne répondit pas. Alain-Zar comprit au moins qu’une journée s’était écoulée. Ni horloge, ni soleil n’avait pu le situer dans le temps. Elle le fit sortir de sa cellule. Elle le traîna dans des tas d’endroits, dont bon nombre de couloirs.

Là, il avait vu ce qui ressemblait à une cafétéria…Ici, une salle de sports, mais il ne reconnut aucune des machines présentes. Plus loin, cela devait être une maternité ou une crèche car il y avait beaucoup d’enfants en bas âge.

« Est-ce que ça revient ? demanda-t-elle. »

Il était furieux ; cette phrase revint plusieurs fois dans leur promenade. En fait, il lui semblait même que c’était la seule phrase que connaissait Miâ. Elle disait cela d’une façon si impersonnelle… Au début il lui répondait par la négative, mais à présent, il se contentait de grogner.

Ils continuèrent leur visite par un ensemble de boutiques où les gens se servaient sans payer. Ils avaient croisé beaucoup de monde mais, jamais, aucune parole ne s’était échappée des lèvres des promeneurs. Durant ce qui lui sembla un temps infini, ils marchèrent dans des couloirs, des coursives, des salles, des étages…Mais Miâ ne desserrait pas les dents.

Toute l’attention d’Alain-Zar n’était pas mobilisée par ce qu’il voyait mais par ce qu’il voulait demander à Miâ. Il cherchait la meilleure formulation possible, sachant qu’elle était avare de commentaires. Finalement, comme il sentait le terme de la promenade arriver, il demanda :

« Est-ce le Paradis ? »

Il avait longtemps pesé tous les mots en se disant qu’une formulation simple appelait une réponse simple.

« Bien sûr c’est le Paradis ! Voilà, ça vous revient ! » s’exclama Miâ.

Cette réponse le suffoqua. Il aurait préféré entendre « non » ! Il avait d’ailleurs préparé tout un argumentaire à propos des drogues et de la fille de 15 ans… Ce paradis n’avait rien à voir avec l’Eden promis dans les livres. Il maugréa sur ses cours de catéchisme, sa communion, quel temps perdu…Mensonges ! C’était moche, c’était gris, c’était froid…

« Comment est l’Enfer ? demanda-t-il. »

Miâ le regarda. Visiblement, elle était étonnée.

« C’est à peu près comme ici, mais pas au même endroit… Comment le connaissez-vous ? »

Il ne répondit pas. Devant son silence, elle reprit :

« Je suis votre balise et nous avons le temps. »

Ils reprirent alors une série de couloirs, moches, gris et froids. Il la suivit, car elle était la seule qui lui parlait, tout en la maudissant.

***

Durant deux jours (ou ce qui semblait être des jours), Alain-Zar et Miâ errèrent de couloirs en corridors. Il y avait énormément de monde partout, et pourtant, pas une fois il n’obtint un mot de quiconque. Miâ lui posait toujours la même question…  « Est-ce que ça revient ? »

Et il n’avait toujours pas idée de ce qui devait revenir…

Il entra dans un état dépressif, regrettant sa vie, sa carrière, ses amours et ses amis. Il réfléchissait à ce qu’il aurait dû faire, à ce qu’il aurait pu faire. Chaque instant de sa vie était passé au crible. Du moins, ce que sa mémoire lui permettait car il avait l’impression que ses souvenirs se disloquaient comme un buvard dans de l’eau.

Cela dura peu car quelques jours plus tard, après de nombreuses errances dans les couloirs du Paradis, dès que Miâ entra dans sa cellule, il demanda à voir l’extérieur, par une fenêtre…

Il y avait pensé pendant la nuit ; pas une fois il n’avait vu de fenêtre dans toutes ces pièces et tous ces couloirs.

« Bien, ça revient déclara Miâ en esquissant un sourire.

- Oui ! mentit-il. »

Il avait jugé que ce mensonge lui donnerait accès à d’autres clés, qu’il pourrait enfin y voir plus clair. Quitte à s’en justifier plus tard si Jugement il y avait… Et puis, il en avait marre des couloirs gris et ternes. Il voulait voir autre chose.

Miâ le conduisit à une porte qu’elle déverrouilla avec son badge. Un battant coulissa dans un chuintement laissant apparaître un ascenseur. Elle annonça :

« Solarium »

La porte se referma sur eux et la cabine s’éleva.

«  J’ai su que ça reviendrait vite lorsque vous m’avez parlé du Paradis, dit-elle fièrement. Vous savez, c’est la première fois que je suis balise, mais je crois que je ne m’en sors pas trop mal…

- Effectivement répondit Alain-Zar… »

C’était la première fois que Miâ lui parlait d’elle. Elle devait croire qu’Alain-Zar avait tout compris. Il lui laissa cette impression.

La cabine s’arrêta et les portes s’ouvrirent sur une immense salle où flottaient de nombreuses dalles noires. De grandes baies vitrées encadraient cette salle où des gens, couchés nus sur les dalles, semblaient dormir. Alain-Zar eut le souffle coupé. Il se précipita vers une des vitres. Face à lui, une énorme boule de feu lançait des geysers de particules. Il courut de tous côtés vers les autres vitres. De petites lumières pulsaient au milieu d’un noir absolu… Il était dans l’espace.

A bord d’un vaisseau spatial… Le Paradis était un vaisseau spatial. Des récits d’enlèvements lui revinrent en mémoire. Il s’attendait à voir jaillir Mulder et Scully ou bien Data de Star Trek. Il se tourna vers Miâ en prenant le visage le plus serein possible. Elle ne devait pas voir son désarroi.

«  Puis-je voir la Terre ? 

- Bien sûr, répondit-elle, visiblement ravie, mais vous ne pourrez pas y retourner… Du moins pas avant quatre ou cinq cycles. »

Elle haussa légèrement les épaules en disant cela.

Il la suivit à nouveau ; Son esprit fonctionnait à la vitesse grand V. Il avait été enlevé par des extraterrestres. Que lui voulaient-il ? Il était mort ou pas ? Il ne comprenait plus rien. Il finit par se résoudre à patienter, cette nouvelle ruse avec Miâ lui permettrait d’en savoir plus.

Après une longue marche, ils arrivèrent dans un couloir gardé par ce qui semblait être des militaires. Les premiers qu’il voyait. Un des hommes en faction passa un appareil sur le badge de Miâ. Après un bourdonnement, une lumière s’alluma sur le boîtier et l’homme s’effaça.

Miâ et Alain-Zar pénétrèrent alors dans la plus grande salle qu’on puisse imaginer. Des milliers d’hommes et de femmes étaient couchés sur le dos, sur des dalles semblables à celles du solarium. Des fils partaient de leurs têtes et se connectaient à des boîtiers au-dessus d’eux. Tous ces gens étaient placés les uns au-dessus des autres, jusqu’au plafond. D’énormes câbles reliaient les boîtiers et se réunissaient tels des serpents vers le centre de la salle. Ils traversèrent de nombreuses rangées de dalles qui formaient un véritable labyrinthe. Alain-Zar commença à les compter mais il perdit le compte en route et finalement renonça.

Ils parvinrent enfin au centre de la pièce et Alain-Zar s’arrêta net. Une énorme boule de plastique transparente se tenait en face de lui.

Miâ le dépassa et alla parler aux hommes en blouse blanche qui gravitaient autour de la boule. Il l’entendit parler sans comprendre, comme s'il était à des années-lumière d’elle.

« Comment va la simulation ? dit-elle.

- Impeccable, comme toujours, répondit un homme en blanc.

- Où est la Terre en ce moment ?

- Là, cette petite boule dit l’homme en désignant un point minuscule dans la sphère.

   Qui c’est lui ? reprit l’homme.

- Oh ! C’est Zar 88 FF ! Il sort de là, il a terminé son congé. Pas vrai Zar ? »

 

Il ne répondit pas. Il regardait fixement la boule de plastique ; il reconnaissait ce qu’il y avait à l’intérieur.  Toutes ces planètes… Cette étoile au milieu qu’il appelait soleil il n’y a pas si longtemps. Celle-ci avec des anneaux, et la petite bleue qu’avait désignée l’homme.

Il avait vécu là 32 ans. Combien cela faisait-il de cycles ?

 

 

 Didier 1996

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