Le distributeur


« Est-ce que tu as encore des tickets de cantine ?

-Maman, c'est trop mauvais à la cantine !

-Stéphane, il faut bien que tu manges. Tu ne vas pas rester le ventre vide toute la journée...D'abord ce n'est pas mauvais, c'est équilibré. »

Stéphane était ce genre de garçon qui ne mange que ce qui lui plaît. Autant dire des cochonneries... Il devenait d'ailleurs de plus en plus rond. Il n'était pas obèse mais il se portait bien. Un peu trop bien peut-être...Il n'avait que treize ans mais avait déjà du mal à trouver des vêtements à sa taille.

« Donne-moi plutôt deux pièces de deux euros. Ils ont installé un distributeur de hamburgers au collège. C'est super bon ! »

Sa mère n'eut pas le courage de lutter. Elle insista tout de même pour qu'il prenne un ticket de cantine au cas où la machine serait en panne. Puis, elle regarda s'éloigner son fils. Il portait un survêtement informe et des baskets qu'il ne laçait jamais. Elle se souvint du beau bébé qu'il était à sa naissance. Si frêle, si fin...Elle poussa un soupir et ferma la porte derrière lui.
Stéphane allait à pied au collège qui ne se trouvait qu'à quelques minutes de sa maison. Il arriva devant l'imposant batîment un peu essouflé. Il se fatiguait de plus en plus vite ces derniers temps. De nombreux élèves, filles et garçons, traînaient devant la grande grille. Certains discutaient ou fumaient, d'autres étaient juste là à attendre, comme si le fait de passer le portail allait changer leur vie à jamais. Lorsque Stéphane entra dans le grand hall, son premier regard fut pour le distributeur d'hamburgers. Celui-ci trônait dans un recoin plutôt sombre de cette grande pièce où résonnaient déjà des rires et des cris. Stéphane avisa immédiatement la lumière verte au dessus du monnayeur. Il savait que cette lumière indiquait que l'appareil était en service.Le jeune garçon sortit le ticket de cantine qu'il avait été obligé de prendre et l'envoya rejoindre la douzaine qui traînaient dans la poche avant de son cartable. Il avait passé tout son argent de poche dans la machine et était à court d'argent. Sinon, sa mère n'en aurait rien su. L'appareil avait été installé le mois dernier et il n'avait pas fallu longtemps avant que les collègiens ne fassent la queue devant, à midi. Certains avaient même demandé, en conseil de classe, qu'on en installe un autre. Il faut dire que Stéphane trouvait ces hamburgers diablement bons. Ils avaient un goût que le collègien n'avait jamais retrouvé ailleurs, et pourtant, il était le roi du hamburger. Il les avait tous essayé, toutes les marques, toutes les sortes. La cloche sonna. Il se rendit en classe en traînant les pieds.

Les premiers cours du matin ne furent pas passionnants et Stéphane eut du mal à se concentrer. Il marchait dans un couloir, la tête dans les nuages quand il fut percuté par Yohan. C'était un grand de troisième qui se prenait pour un caïd.

« Alors, gros tas ! J'ai rêvé ou tu m'as rentré dedans. » beugla le petit voyou. Stéphane avait bien quelques mots bien sentis qui lui vinrent en tête mais avant qu'il ait eu le temps d'ouvrir la bouche, quelqu'un s'interposa.

« Laisse-le tranquille sinon... » C'était une jeune fille d'une autre classe de cinquième. Josy. Les deux poings sur les hanches, la fillete se tenait bien droite pour se faire plus grande. Elle portait de grosses lunettes et avait les cheveux nattés. Et chose incroyable, Yohan détourna son regard et recula.

« T'as de la chance...Baleine ! Et Toi...si t'étais pas ma soeur... »

Le balèze fit un geste à ses camarades, déçus du dénouement de l'histoire, et tourna les talons.

« Merci... bredouilla Stéphane un peu géné.

-De rien, on se voit à la cantine ?

-Heu..Oui...surement ! »

Josy s'enfonça dans la foule des élèves qui se dépêchaient de retourner en classe pour le cours suivant. Stéphane en fit autant.


Midi sonna.

Cela faisait bien 40 minutes que Stéphane guettait l'horloge de la classe, en faisant tourner les deux pièces au fond de sa poche. Ce qui disait le prof d'anglais n'avait que peu de poids comparé à l'idée du hamburger qui l'attendait. Soudain, il se souvint avoir dit à Josy qu'il la retrouverait à la cantine. Il se sentit paniquer. Ce n'était pas possible ! Comment allait-il faire ? Il décida d'aller voir à la cantine et d'inventer une excuse. Un régime ! Cela lui sembla une bonne idée. Il ne voulait pas blesser Josy mais il était hors de question qu'il renonce à son hamburger.

Il se rendit donc au restaurant scolaire. Rien que la lecture du menu lui aurait presque coupé l'appetit. Chou-fleur et viande en sauce...Tout ce qu'il detestait. Il chercha dans la foule le visage de Josy mais ne la trouva pas. Il attendit encore cinq minutes en faisant tinter les pièces de deux euros puis, finalement, se dirigea vers le hall du collège en laissant les bruits de vaisselle et les discussions derrière lui.

Le hall était étonnament calme. Ses pas résonnaient sur le carrelage. Un élève était en train de prendre un hamburger au distributeur. Stéphane le regarda insérer ses deux pièces et entendit le vrombrissement de la machine. Un petit cliquetis se fit entendre et l'élève tira sur le levier d'une petite trappe en plastique. Il prit son sandwich et s'éloigna. Stéphane s'approcha de la machine, un léger sourire sur les lèvres. Mais au moment où il allait lâcher la première pièce dans la fente, la lumière verte vira au rouge.

Stéphane resta interdit, fixant des yeux la lueur qui indiquait maintenant « Vide ». De rage, il donna un coup de pied dans le distributeur. « Saleté, saleté ! » criait-il.

Tout-à-coup, comme en réponse, une petite porte s'ouvrit sur le côté de l'appareil. Stéphane regarda l'ouverture sombre. Il jeta un coup d'oeil à gauche puis à droite, mais il était seul dans le hall. Il pensa que, finalement, il allait peut-être économiser quatre euros. Il posa son cartable dans un coin et rampa dans la machine avec précaution. Soudain la porte se referma.

***

« Quel imbécile ! râla Josy, Oublier les tickets de cantine.

-C'est bon, je vais te payer un hamburger, dit Yohan. Mais surtout tu dis rien aux parents.

-Oui, ben on verra... Tiens tu as vu ? Il y en a un qui a oublié son cartable... ».

Yohan haussa les épaules et inséra deux pièces dans le monnayeur, juste en dessous de la lumière verte.

 

Didier 2007

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